Publié le: 12 août 2022

Sans contraindre les innovateurs

plateformes numériques – D’aucuns estiment que le travail par intermédiation numérique devrait donner lieu à un nouveau statut, spécifique à l’activité déployée pour le compte d’un gestionnaire de plateforme. Le droit du travail et celui des assurances sociales font toutefois preuve de suffisamment de souplesse et de prévisibilité pour intégrer les mutations du monde du travail.

L’économie des plateformes numériques met à l’épreuve la sempiternelle distinction entre activité lucrative salariée et indépendante. D’aucuns estiment que le travail par intermédiation numérique devrait donner lieu à un nouveau statut, spécifique à l’activité déployée pour le compte d’un gestionnaire de plateforme.

Le droit du travail et celui des assurances sociales font toutefois preuve de suffisamment de souplesse et de prévisibilité pour intégrer les mutations du monde du travail, ceci sans contraindre les modèles d’affaires innovants à évoluer en zone grise.

L’ubérisation du travail

A l’heure actuelle, les plateformes de travail telles qu’Uber, Deliveroo, Helpling, Upwork, Jovoto, Amazon Mechanical Turk ou encore Batmaid font partie du paysage économique. Ces différentes entités ont cela de particulier qu’elles s’affranchissent des formes classiques d’organisation de l’emploi.

De manière générale, la notion de travail de plateforme décrit des conditions de travail et de prestations de service qui s’instaurent par le truchement du placement de commandes sur des plateformes numériques. Ce type de travail rémunéré via une plateforme en ligne suppose l’implication de trois acteurs: la plateforme, le client et le travailleur. Le but de la plateforme est de réaliser sur demande des tâches spécifiques ou de résoudre des problèmes précis, ceci sans que les travailleurs ne soient formellement intégrés au sein de l’entreprise.

En matière de travail de plateforme, de multiples configurations sont envisageables. On distingue en pratique les tâches directement réalisables en ligne (par ex. contrôle de données) du travail lié à un lieu donné (par ex. nettoyage à domicile). Le travail de plateforme en ligne peut prendre la forme de crowdworking, qui suppose le recours à une pluralité de personnes pour réaliser une tâche (par ex. micro-travail). En tout état de cause, quelle que soit la variété de plateforme, les personnes qui offrent leur force de travail sont généralement amenées à exercer en tant qu’indépendantes, ce qui permet à la plateforme de diminuer ses coûts (outil de travail, charges sociales) et de limiter les risques financiers.

Ainsi, la plateforme se positionne ordinairement comme un simple tiers qui assure une mise en relation entre un client et un indépendant. Dans les faits, le rôle de la plupart des plateformes va cependant bien au-delà du simple intermédiaire, quand bien même les travailleurs disposent d’une certaine autonomie. Que ce soit sous l’angle du droit du travail ou du droit des assurances sociales, le statut des travailleurs de plateforme fait ainsi couler passablement d’encre.

Faux indépendants numériques

L’article 319 du code des obligations (CO) dispose que, par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni. L’élément caractéristique essentiel du contrat de travail réside dans le rapport de subordination qui place le travailleur dans la dépendance de son employeur sous l’angle temporel, spatial, personnel et hiérarchique. Cette notion de rapport de subordination, qui permet d’appréhender efficacement les formes modernes d’organisation du travail, se retrouve en droit des assurances sociales.

Selon la jurisprudence, la distinction entre une activité indépendante et une activité salariée ne doit pas être opérée d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires, mais bel et bien selon les circonstances économiques. Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci ainsi que l’obligation de ce dernier d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée.

En résumé, une activité est réputée dépendante lorsque les caractéristiques typiques d’un contrat de travail sont réunies. Or, dans un arrêt récent concernant le statut des chauffeurs d’Uber, le Tribunal fédéral a confirmé (eu égard à un ensemble d’éléments dénotant un contrôle sur l’activité et une surveillance caractéristiques d’une relation de subordination) qu’il n’est pas arbitraire de considérer que les chauffeurs sont liés à la plateforme par un contrat de travail. Or, qui dit contrat de travail, dit normalement activité salariée pour le compte d’un employeur.

Le beurre et l’argent du labeur

Le rapport de subordination, pertinent tant en droit du travail qu’en droit des assurances sociales, s’impose comme un critère à la fois souple et prévisible, ceci dans la mesure où l’on fait preuve d’un minimum de bonne foi. À ce titre, force est de convenir que les plateformes numériques veulent les avantages qu’offre un rapport de subordination sans en supporter les contraintes. Elles ont pour ce faire tendance à se camoufler derrière l’apparente complexité de leur modèle d’affaires pour ne pas être reconnues en tant qu’employeur, statut qu’elles n’hésitent pas au besoin à reporter sur le client.

Ce positionnement entraîne une diminution de la protection sociale des travailleurs de plateforme ainsi qu’une situation de concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises traditionnelles qui doivent notamment prélever des charges sociales et appliquer les conventions collectives de travail. Se prévalant d’une zone grise, les plateformes numériques revendiquent sans convaincre un traitement privilégié sous la forme d’une liberté de choix ou d’un statut intermédiaire dédié à l’économie de plateforme.

Dans l’intérêt bien compris des travailleurs et de la loyauté de la concurrence, il revient aux plateformes d’adapter leur modèle d’affaires au droit en vigueur et non l’inverse, qu’il s’agisse de l’activité d’un travailleur du clic ou d’un chauffeur.

Jimmy Dupuis, Centre patronal

www.centrepatronal.ch

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