Publié le: 4 mars 2022

«Soutenu, attractif et liquide»

interview – Vincent Clapasson, directeur de Wüest Partner pour la Suisse romande à Genève relève que la progression des prix est largement positive dans toutes les régions et aborde les questions de raréfaction des terrains, de risques liés à l’effet de l’inflation sur les taux d’intérêts et du contexte post-pandémique.

JAM: Comment se portent les marchés de l’immobilier en Suisse romande en cette phase de réouverture et de redémarrage?

Vincent Clapasson: Le marché est dans l’ensemble plutôt soutenu, attractif et liquide. Dans le segment de la propriété, PPE et villas, nous constatons une évolution largement positive des prix des transactions pour les biens en propriété, malgré des restrictions sur les fonds propres. En fait, l’offre actuelle n’arrive pas à combler la demande. Suite à la révision de la LAT, la multiplication des gels de terrain a conduit à une raréfaction des zones résidentielles pour se concentrer vers une re-densification des zones urbaines centrales. Typiquement, les villas individuelles en périphérie sont devenues plus rares, donc plus chères.

L’immobilier dans les stations de ski aurait aussi le vent en poupe à en croire une étude récente?

En effet, les domaines alpins suisses en Valais, dans le canton de Vaud et dans les Grisons connaissent eux aussi une forte croissance. Il faut peut-être y voir un effet Covid avec l’envie de sortir des centres urbains denses avec peu d’espace vert et la possibilité facilitée de faire du télétravail en recherchant une certaine sérénité. Là aussi, les effets des changements du cadre législatif notamment, la Lex Weber, conduisent à limiter le nombre de propriétés en résidence secondaire.

Quelle est la température du côté du marché locatif?

Les acteurs du marché, les investisseurs institutionnels comme les fonds immobiliers, les caisses de pension, font état de volumes extrêmement élevés en lien avec une baisse des taux de rendement. Les objets les plus liquides et dont les rendements ont été les plus faibles se trouvent dans le segment résidentiel des grands centres urbains. La demande croit aussi mais plus faiblement, lorsque l’on s’éloigne en périphérie. Ainsi, par rapport à Lausanne, les communes limitrophes sont impactées à la hausse. Dans l’Ouest lausannois, nous relevons aussi des volumes importants de transactions avec des rendements faibles sur des programmes de constructions neuves.

Le contraste est-il marqué entre les différentes régions?

Moins que l’on imagine souvent au niveau de la propriété. Les hausses de prix du marché des PPE et des villas se constatent un peu partout, même dans les régions plus éloignées des grands centres comme le Jura ou le Haut-Valais par exemple, où la hausse est même plus importante qu’attendue. Dans le marché locatif en revanche, nous observons des variations importantes entre les régions. Parmi les zones plus «détendues» figurent la Broye, le Nord vaudois, les Chablais vaudois et valaisan, ainsi que Sierre. Dans ces régions, les constructions ont été nombreuses au cours des dernières années avec en parallèle une demande relativement stable ce qui implique une hausse du taux de vacance. Les investisseurs sont aussi devenus plus prudents, en souhaitant des garanties qui leur permettant de s’assurer que les immeubles seront ensuite pleinement occupés ou en analysant de manière détaillée l’état du marché local et le niveau des prix ou loyers qui s’y opère.

Quel effet la crise sanitaire a-t-elle eu sur ce marché?

Pour le marché de la propriété, nous nous attendions collectivement à plus d’incertitude sur l’économie et le marché de l’emploi. On aurait pu s’attendre à une limitation des échanges dans ce contexte pandémique. Mais la réalité a montré qu’il y avait plutôt davantage de transactions et que les prix ont continué à augmenter. Dans le même esprit, le marché des immeubles de rendement a été très dynamique depuis le début de la crise avec des baisses de rendement observées et un volume de transactions important.

Quelles sont vos attentes pour la suite, compte tenu des risques actuels, comme l’inflation ou la difficulté d’approvisionnement?

L’inflation est en effet attendue dans de nombreux pays avec pour conséquence déjà relevée depuis quelques mois, une remontée des taux d’intérêts. Ceci pourrait limiter la croissance des prix cette année. Nous nous attendons toujours à une hausse mais bien plus modérée que l’année dernière. Pour les objets situés en montagne, la croissance devrait également se poursuivre étant donné le stock limité qui compose l’offre.

Du point de vue de la production de logements, l’effet de l’inflation et de la pandémie a des conséquences (du moins temporaires) sur la hausse du prix des matières premières et les problèmes d’approvisionnement, se traduisant par des augmentations des prix de revient pour le développeur ou le promoteur d’un projet. Ce dernier pourrait alors répercuter ces hausses de prix sur le prix final du bien.

Suisse, îlot de cherté ou Suisse, valeur refuge: qu’en dit le spécialiste de l’immobilier?

La valeur d’attraction de la Suisse est manifeste, cela se voit dans le segment du luxe, avec l’arrivée de grandes fortunes de l’étranger et l’achat de biens immobiliers haut de gamme. Ces acheteurs valorisent la sécurité financière, la stabilité politique, la force du franc, des facteurs qui continuent de rassurer. Les échos que nous avons de ce marché nous montrent que les délais de transaction pour ce type de biens se sont raccourcis: alors que cela pouvait prendre de 12 à plus de 18 mois, on se situe actuellement plutôt sur un rythme de 2 à 6 mois.

Où en est-on du côté des habitats groupés et des nouveaux modes de vie?

La crise sanitaire a légèrement retardé les réflexions et avancements sur ces thématiques et futurs modes de vie, notamment les espaces de cosharing ou de coliving. Ils restent toutefois d’actualité avec plusieurs projets en cours mélangeant un concept d’appartements traditionnels avec des espaces communs, de partage.

Cette pandémie a-t-elle généré de nouvelles habitudes, ou envies?

L’augmentation de la flexibilité est avérée, l’aménagement d’un espace de travail dans l’appartement aussi. Il y a eu des anticipations dans ce sens par la recherche d’une pièce supplémentaire. Au final, la demande – plutôt que sur des typologies d’appartements plus petits en ville sans espaces extérieurs – s’est reportée sur des biens plus grands en campagne ou en montagne, avec un accent mis sur les surfaces extérieures et davantage de volumes intérieurs, pour des prix presque similaires aux grands centres urbains.

Quelle a été l’attitude des investisseurs dans ce contexte?

Ils ont investi massivement dans la pierre en 2021, en privilégiant le résidentiel dans les grands centres urbains plutôt que le commercial – en raison des incertitudes sur la conjoncture économique et le télétravail. Mais le thème principal pour la plupart: la durabilité, l’empreinte carbone, les réductions de CO2, les objectifs 2030 et 2050 et toutes les rénovations d’immeuble nécessaires. Les stratégies énergétiques sont au cœur des préoccupations avec des prises en compte dans les projections de rénovations de leur parc immobilier. Les ratings ESG sont également au centre des attentions avec la prise en compte pour ces acteurs des éléments influençant les critères « sociaux », « environnementaux » et de « gouvernance ».

Les effets du télétravail se font-ils sentir?

Au niveau de la propriété et comme mentionné plus haut, il y a une augmentation de la demande pour des logements plus spacieux avec possibilité d’aménager un bureau et de jolis espaces extérieurs. Au niveau du marché locatif résidentiel, faible évolution avec peut-être une augmentation également pour des recherches d’appartements en périphérie et plus grands. Au niveau du marché locatif commercial, certaines réflexions liées à l’optimisation des surfaces étaient déjà présentes au sein des entreprises avant la crise. Il n’y a pas eu encore d’accélération liée à ce phénomène. La mise en place récurrente et régulière d’un télétravail pourrait toutefois modifier le besoin en surfaces. À noter toutefois que les charges représentées par le loyer en comparaison du chiffre d’affaires reste souvent inférieure à 10 %, l’économie pour les entreprises est donc relativement faible.

Avec l’aide de l’État, nous n’avons pas observé un plus grand nombre de faillites en regard des années antérieures à la crise. En cas d’arrêt de cette aide, il est possible que le nombre de surfaces de vente disponibles augmente à la suite d’une hausse des faillites. Des réflexions sont également en cours auprès des propriétaires et des utilisateurs, sur la réaffectation future des surfaces, d’une utilisation moins traditionnelle au profit de nouvelle tendance.

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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