Publié le: 5 juin 2020

«Tout le monde se tourne vers l’Etat»

DANS LES ASSOCIATIONS – Christophe Reymond, directeur général du Centre Patronal, explique comment l’association vaudoise basée à Paudex a réagi à la crise du Coronavirus. Ce qui l’a surpris: la rapidité des demandes enregistrées suite aux décisions prises à Berne.

Journal des arts et métiers: Comment le Centre Patronal a-t-il réorganisé ses activités au début de cette pandémie?

Christophe Reymond: Ce n’était pas dans les manuels! Ce d’autant que notre organisation est relativement étendue et connaît une grande diversité d’activités, tant de services que de conseil. Nous hébergeons en effet le secrétariat de 120 associations professionnelles, un centre de formation, une caisse AVS, plusieurs caisses d’allocations familiales et institutions du deuxième pilier. Or les mesures prises ont concerné toutes nos activités et 300 collaborateurs.

La plupart d’entre eux sont restés à la maison et nous avons mis en place très rapidement le télétravail, qui existait auparavant mais de manière embryonnaire. Avec cette particularité qu’il fallait pouvoir accéder de l’extérieur aux logiciels spécia­lisés et aux applications selon les différents métiers. Cela a donné lieu à toute une série de problèmes techniques redoutables.

«Nous entrons dans une période durant laquelle l’économie va souffrir.»

Je me dis qu’en temps normal, si nous avions lancé un projet de télétravail généralisé, il aurait été extrêmement compliqué d’aboutir. Or là, nous y sommes arrivés en 15 jours. J’y vois donc un acquis, même si tout ne sera pas entièrement transposable à l’après-crise.

Comment avez-vous tenu le coup face à l’avalanche de demandes?

En effet, ce fut un déferlement dès le début et nous avons été très vite contraint de doubler, puis de tripler nos équipes de juristes répondant au téléphone. Une tâche ardue, avec un droit qui ne cesse de changer, des exigences très différentes selon les métiers, qu’il s’agisse des bouchers, des EMS, ou des garagistes. Nous avons fourni un appui tangible. Cela met en valeur l’importance des associations professionnelles, que l’on retrouve aussi dans l’élaboration récente des plans de protection dans les branches.

Nous avons fait face à des problèmes très spécifiques dès lors que notre caisse AVS gère les indemnités Covid-19 pour les indépendants. Le 16 mars puis le 23 avril, ce furent deux vagues impressionnantes! Sur les 12 000 indépendants qui sont inscrits chez nous, nous avons reçu un peu moins de 10 000 demandes. Ce sont là des tâches nouvelles qui n’existaient pas avant et qu’il a fallu absorber tout en assurant le reste des activités de la caisse, du côté des rentes, des APG «normales», y compris pour les militaires et les personnes engagées à la protection civile, ou encore des cotisations.

«Les programmes delibéralisation seront difficiles àmettre en Œuvrede ce côté-ci de la sarine.»

Qu’est-ce qui vous aura surpris?

Je dirais: la rapidité des demandes. Lorsque le Conseil fédéral annonce une indemnisation pour les indépendants, il ne faut pas cinq minutes avant que les premiers coups de téléphones arrivent! Toute cette période s’est révélée aussi très lourde pour nos affiliés et nos collaborateurs, confrontés à des situations personnelles difficiles conduisant à des réactions parfois très émotionnelles.

Quid de l’activité politique du Centre Patronal?

Disons que contrairement à d’autres cantons où les choses ont l’air de bien se passer depuis le début, avec des groupes de travail et des séances régulières, il n’aura pas été facile de nouer un contact fécond et fluide avec l’Etat de Vaud. Au début, notre gouvernement cantonal était désemparé. La présidente du Conseil d’Etat a dit: «L’Etat ferme!» C’est ce qui s’est produit et je vous laisse imaginer la situation des entreprises qui y ont forcément recours, des garagistes, des fiduciaires et de tant d’autres.

Comment voyez-vous la suite?

Pour notre organisation, le 8 juin, si tout se passe bien, tout le monde sera de retour sur les sites de Paudex et de Berne. Il y a certaines activités que nous nous réjouissons de retrouver en présentiel. La vie associative, les cours de formation ont été gelés. Or la vie doit bien un jour reprendre le dessus. Mais cela prendra du temps, de revenir à la normale.

Quels enseignements politiques tirez-vous Ă  ce stade?

Les choses seront compliquées. Les revendications risquent d’être innombrables, y compris pour un renforcement de l’Etat à tous égards. Il a été très frappant de constater qu’à peine les difficultés sont-elles survenues, tout le monde se tourne vers l’Etat, y compris parfois parmi nos affiliés.

La période qui viendra ne sera pas particulièrement propice aux idées libérales. Du point de vue de notre action générale dans le domaine de la fiscalité, du financement des régimes sociaux, nous devrons nous montrer extrêmement vigilants. Je tempère cependant cette appréciation en relevant que nous entrons dans une période durant laquelle l’économie va souffrir, inutile de rappeler à quel point certaines branches sont sinistrées.

«ce fut un déferlement dès le début…»

Quand Madame Simonetta Sommaruga estime qu’il faudrait augmenter les salaires, je lui réponds que c’est la réalité économique qui s’imposera. Et ramènera tout le monde à la raison!

Suisse romande, Suisse alémanique, le fossé se creuse-t-il?

Manifestement, l’opinion publique n’est pas la même ici qu’en Suisse alémanique. J’aimerais pouvoir dire que cela tient au fait que nous avons été plus touchés par le virus. Mais je crains que cela ne soit pas la seule explication. Et que la vérité soit qu’en Suisse romande, il y a cette propension à compter plus sur les pouvoirs publics et l’Etat. Les programmes de libéralisation seront difficiles à mettre en œuvre de ce côté-ci de la Sarine!

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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