Publié le: 7 juillet 2017

Une belle dérive à mettre en lumière

SÉPARATION DES POUVOIRS – Par des ordonnances et directives, l’exécutif crée des dispositions que le législatif n’a jamais prévues.

Le législateur, c’est le Parlement, autrement dit le Conseil national et le Conseil des Etats. L’exécutif, c’est le rôle du gouvernement, joué par le Conseil fédéral avec l’aide de l’administration. En théorie, car en pratique, les fonctionnaires de l’administration payés par le contribuable se prennent de plus en plus souvent pour des ­législateurs!

Court-circuiter le législatif

Un bon exemple: l’ordonnance sur la formation professionnelle (OFPr). Dans ce cas, l’administration – en l’occurrence le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) – se place au-dessus du Parlement et désavoue même son propre patron, soit le Conseil fédéral et son ministre de la formation, Johann Schneider-Ammann.

«Que l’administration, par l’élaboration d’ordonnances, se prenne pour le législatif, c’est inacceptable», réagit Hans-Ulrich Bigler, directeur de l’Union suisse des arts et métiers usam et conseiller national PRD.

D’autres exemples laissent penser que l’administration «corrige» à son goût et à large échelle les lois, en bricolant ça et là des contenus un peu «téléphonés» et bafouant ce faisant la volonté du législateur.

L’exemple de la surveillance

Un autre cas? La loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par la poste et télécommunication (LSCPT) est en cours de concrétisation. «L’ordonnance proposée par le DFJP invente des mesures qui ne figurent pas dans la loi et élargit arbitrairement la portée du projet de loi du Parlement, voulue délibérément restrictive», constate le directeur adjoint de l’usam, Henrique Schneider.

Ainsi, la LSCPT ne prévoit aucune mesure de recherche par champ d’antenne sur le réseau wifi (WLAN). Mais surprise! Celle-ci a été introduite dans l’ordonnance pour «une nette extension des compétences». En outre, le champ d’application restrictif de la loi est élargi puisque l’ordonnance prévoit la surveillance uniquement en cas d’incrimination délictueuse. En fait, cela signifie que toute personne soupçonnée pourra être surveillée!

De plus, l’ordonnance étend la surveillance à tous les «utilisateurs» sans définir ce terme. Ainsi, cela peut aussi bien inclure les abonnés – hôteliers, restaurants, grands magasins qui offrent un accès wifi gratuit – qu’à leurs employés ou clients branchés sur ce réseau. Bref, tout le monde peut être surveillé sans présomption ou ni décision judiciaire.

Encore un exemple? Il s’agit des fournisseurs de services de télécommunication. Ces derniers doivent collecter les données de leurs abonnés – informations financières, numéros et titulaires de comptes, modalités et fréquences de paiement. Puis les transmettre, même si aucun soupçon ne plane sur eux et, bien sûr, sans la moindre décision judicaire...

L’exemple de la loi sur le travail

Encore une preuve criante que l’administration bafoue le principe de séparation des pouvoirs? Les ordonnances de la loi sur le travail (LTr). Dans l’article 2 sur les exceptions quant aux entreprises, il est clairement stipulé que la loi sur le travail ne s’applique pas «aux offices locaux collecteurs de lait, ni aux entreprises qui y sont rattachées et travaillent le lait». Ainsi, la loi exclut également les fromageries de la LTr.

Pourtant, en ce moment même, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) élabore des directives de la LTr avec un document de plus de 400 pages! Après révision, près de la moitié des fromageries courent le risque d’être soumises à la loi sur le travail.

Pas étonnant que le secteur soit irrité par ces ordonnances. Jusqu’à présent, il avait toujours été convenu que, aussi bien l’agriculture que les collecteurs de lait, tout comme les fromageries et laiteries, ne pouvaient pas être soumises entièrement à LTr.

«Pourquoi ce changement de paradigme?», s’interroge Dieter Kläy, chef de rubrique à l’usam, en ajoutant: «La formulation de la loi est essentielle et, dans ce cas, il ne s’agit même pas d’une modification d’ordonnance, mais d’une simple directive réinterprétée par le SECO!» Début juillet, M. Kläy et l’association Fromarte bénéficieront toutefois d’une audition au SECO...

Respecter la répartition 
du travail

Reste à espérer que l’administration soit remise à l’ordre et respecte enfin la volonté du législateur. Et pas seulement sur ces exemples donnés! «Cela doit être fait rapidement, car l’hostilité des parlementaires ne cesse de croître, lance le conseiller national Bigler. A l’administration et au Conseil fédéral de renverser la vapeur en veillant à respecter à nouveau la séparation du pouvoir. La situation actuelle est tout simplement indigne de notre démocratie!»

Gerhard Enggist

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