Publié le: 5 mars 2021

Une embûche de plus en pleine crise

OBSTACLES AUX PME – Les nouvelles cartes de débit Mastercard et Visa entraînent des frais plus élevés pour les petits détaillants. L’usam réclame des coûts de transaction transparents. La Commission de la concurrence devrait se rapprocher du modèle de l’UE.

C’est une question très technique – et donc d’autant plus importante pour de nombreuses PME. Il y a quelques mois, les nouvelles cartes de débit Mastercard et Visa Debit sont entrées sur le marché des paiements. Elles sont destinées à remplacer progressivement la carte Maestro qui est couramment utilisée aujourd’hui. Selon les estimations de l’Association des paiements électroniques (VEZ), la carte Maestro va disparaître du marché d’ici quatre à cinq ans.

Un changement majeur de la carte Maestro aux cartes Debit Mastercard et Visa Debit est donc en train de s’opérer auprès des clients. Ces nouvelles cartes de débit peuvent faire tout ce que la carte Maestro ou V PAY peut faire, elles disposent d’une acceptation dans le monde entier, et permettent des achats en ligne en toute sécurité et effectuer des paiements mobiles via smartphones. Ces nouvelles cartes concernent le marché du débit, mais elles peuvent aussi être utilisées pour les transactions en ligne.

En effet, la carte Maestro utilise un numéro à 17 chiffres, alors que les nouvelles technologies de paiement en sont à 16 chiffres. De façon exceptionnelle en Suisse, la Maestro ne conduit à aucune commission d’interchange alors que dans l’Espace économique européen (EEE), une taxe de 0,2% est prélevée. Toute­fois, les autres frais s’appliquent exactement de la même manière. La carte Maestro ne peut cependant être utilisée pour les achats en ligne et ne peut être «tokeniser» sur les smartphones ou autres appareils électroniques. La «tokenisation» permet par ailleurs d’insérer une protection entre la carte employée et l’environnement d’Internet. Elle génère aussi des commissions d’interchange spécifiques. Cette différence se reflète aussi dans les frais de transactions.

Quoiqu’il en soit, la distribution de ces nouvelles cartes de débit est en pleine expansion. UBS a distribué 20 000 de ces cartes de débit Visa dès octobre 2020 et prévoit d’en distribuer environ 30 000 par mois. Pour UBS, l’objectif est de faire passer ses 2,5 millions de clients à cette nouvelle carte Visa Debit. A côté de cela, il y a la carte de débit Mastercard dont l’étendue de la distribution ne nous est pas encore connue.

Le Crédit Suisse a également opté pour ce nouveau type de Debit Mastercard pour remplacer la Maestro. De son côté, Raiffeisen va aussi développer l’utilisation de la nouvelle carte de débit Visa auprès de sa clientèle. D’ici à 2026, il est estimé que l’ensemble de ses 3,8 millions de clients auront la nouvelle carte de débit.

Certaines banques cantonales ont franchi le pas avec la nouvelle carte (BLKB, SGKB). D’après les estimations de la VEZ, il existe environ 10 millions de cartes Maestro en Suisse.

Soudain des frais plus élevés

A première vue sans problème. Mais un examen plus approfondi révèle que les détaillants enregistrent actuellement une augmentation significative des frais de transaction – et donc une réduction de leurs marges déjà souvent minces. Cette évolution en surprend même certains, d’autant plus qu’ils croient encore avoir affaire à des cartes de débit «classiques». «Il y a beaucoup d’insatisfaction dans le commerce de détail», déclare Mikael Huber, responsable des dossiers numérisation et commerce à l’usam. «Surtout parmi les PME, qui n’ont aucun pouvoir de négociation vis-à-vis des acquéreurs Worldline/SIX Payment Services et Concardis, la situation actuelle est très gênante.»

En fait, ces nouvelles cartes de débit posent deux problèmes essentiels, l’un à court terme, l’autre à long terme. A court terme, il existe des problèmes techniques pour l’utilisation de ces nouvelles cartes de débit. D’après les informations de la VEZ, les acquéreurs éprouvent des difficultés à faire la distinction entre les nouvelles cartes de débit et les cartes de crédit. Worldline/SIX Payment Services, par exemple, n’est pas encore en mesure de faire la différence entre la carte de débit et la carte de crédit Visa. Ainsi, une nouvelle carte de débit va conduire à une taxe aussi élevée que pour les cartes de crédit. Cela entraîne une moins bonne acceptation, en particulier chez les petits commerçants qui n’acceptent pas les nouvelles cartes de débit.

Pour les grands commerçants dotés d’Interchange++, cela n’a pas de conséquence. Worldline/SIX Payment Services a annoncé que la distinction entre débit et crédit sera possible sur un large front le 31 mars 2021. Cela fait partie de son contrat envers Visa Inc. et Mastercard. Normalement, Worldline/SIX Payment Services aurait dû lever ce problème technique de différenciation entre une carte de débit et carte de crédit en 2020, puis précisément en décembre 2020 mais cela n’a pas encore fonctionné.

«pour les pme, cette situation autour des nouvelles cartes de débit est une difficulté de plus.»

Notons que Concardis a réussi à résoudre le problème technique de différenciation entre les cartes de débit et crédit, mais que Concardis se consacre seulement aux plus grands distributeurs pour améliorer ses marges. Plus piquant encore, les grands distributeurs ont fait pression sur Worldline/SIX Payment Services en menaçant de refuser ces nouvelles cartes pour ne pas payer des commissions indûment élevées à la suite des problèmes techniques de distinction entre cartes de débit et cartes de crédits. Worldline/SIX Payment Services leur a proposé une solution technique provisoire et leur rembourse le montant excédentaire dû au problème technique. Ce problème technique devrait être résolu dans le plus brefs délais.

Le constat est grave. Cet abus de position se fait en période de crise, alors que les PME sont sévèrement touchées par les mesures prises pour endiguer l’expansion du Covid-19. Les grands de la distribution disposent d’une force de négociation suffisante pour exiger une réduction des frais de transaction, alors que les PME qui représentent des acteurs dispersés n’ont pas eux-mêmes la capacité de négocier de telles baisses. Même s’il est aussi vrai, qu’aujourd’hui, il est de plus en plus fréquent que les tableaux des tarifs prévoient que ceux qui utilisent les dernières technologies paient des frais peu élevés, tandis que les autres paient des frais plus élevés. Cependant, cela a le même effet: les grands ont souvent les derniers systèmes de point de vente, tandis que les petits utilisent plus fréquemment de vieux terminaux. Quoiqu’il en soit, World­line/SIX Payment Services a saisi l’occasion et confronte les PME avec une augmentation de ces frais de transactions.

Avant que cela ne soit trop tard

Le grand danger pour les PME, c’est que si elles ne remarquent pas la différence, elles vont se trouver face à un fait accompli et devront continuer de payer pour les nouvelles cartes de débit les mêmes commissions que pour les cartes de crédit. Normalement, la Commission de la concurrence (COMCO) a rendu une décision qui oblige à faire une distinction entre les commissions pour les cartes de débits et celles des cartes de crédit. Si le problème technique n’est pas résolu, les PME se trouveront face à un fait accompli, et elles devront payer plus pour compenser le manque à gagner des acquéreurs avec Migros, Coop et les autres grands de la distribution qui ont réussi à négocier une commission encore moins importante que les coûts équivalents de la gestion de caisse en monnaie liquide, coûts fixés à 0,44% par transaction par la COMCO.

La COMCO et la valeur maximale

A long terme, le problème des frais plus élevés de ces nouvelles cartes de débit prend une autre dimension bien plus dangereuse que le problème technique. Les frais de trans­actions sur les nouvelles cartes de débit et crédit comportent des commissions d’interchange – «interchange fees ». Lors d’une transaction avec ces cartes de débit ou crédit, cette commission d’interchange est relevée par la banque émettrice de la carte et est soustraite automatique­ment du montant versé à la banque du commerçant.

Il est évident que pour les banques, ces commissions d’interchange représentent une recette très importante. D’ailleurs, le système en question conduit à ce que les banques favorisent les cartes permettant les commissions d’interchange les plus élevées. La COMCO a rendu une décision selon laquelle la moyenne de cette recette doit correspondre à 0,44% des transactions pour les cartes de crédit. Il peut cependant y avoir des différences entre les branches ou entre les différentes technologiques utilisées.

Avec la carte Maestro, il n’y avait jusque-là aucune commission d’interchange. Mais il est vrai que la COMCO permet de lever une commission d’interchange – dont le montant n’est pas défini – durant la phase de lancement de nouvelles cartes jusqu’à ce que la part de marché s’élève à 15% ou durant 3 ans. Dès ce seuil atteint ou cette période achevée, la COMCO a fixé des limites à ces commissions d’interchange. Le problème actuel, c’est que la COMCO n’a pas défini de limites pour la phase de lancement. La VEZ souhaite que le modèle de l’Union européenne (UE) s’applique aussi à la Suisse, à savoir une commission d’interchange fixée à 0,2% pour les cartes de débit et à 0,3% pour les cartes de crédit.

L’usam constate que l’acquéreur Worldline/SIX Payment Services n’est pas techniquement en mesure de différencier les nouvelles cartes de débit et les cartes de crédit et donc de remplir sa part du contrat envers Visa Inc. et Mastercard. Cette incapacité technique se répercute entièrement aux dépens des PME qui en paient les frais supplémentaires à la faveur des banques. Worldline/SIX Payment Services doit trouver immédiatement une solution technique pour mettre fin à cette exploitation des PME en temps de crise. Si aucun changement ne se réalise rapidement, l’usam se verra dans l’obligation d’intervenir auprès des systèmes de cartes Visa et Mastercard ainsi qu’auprès des grands émetteurs de cartes (UBS, CS, Raiffeisen) pour revoir la tarification de Worldline/SIX Payment Services (problème de différenciation entre débit et crédit), pour que ces cartes puissent être acceptées sans sur-tarification pour les commerçants.

«L’usam est d’avis que les commissions d’interchange doivent être fixées de façon transparente, précise Henrique Schneider, économiste et directeur adjoint de l’usam. Le libre choix des cartes ne devrait pas conduire à une augmentation des commissions d’interchange mais par le jeu de la concurrence, ces commissions devraient baisser. L’usam demande impérativement à la COMCO de s’approcher du modèle de l’UE avec des taux d’«interchange fee» contenus et raisonnables, à savoir 0,2% pour les cartes de débit et 0,3% pour les cartes de crédit.»

Au vu des problèmes en cause, l’usam demande à toutes ses organisations membres de prendre contact avec l’acquéreur Worldline/SIX Payment Services pour exiger une renégociation des frais de trans­action et un remboursement de la sur-tarification des cartes de débit à cause du problème technique.usam

Exigences de l’usam

Pas sur le dos des PME

Dans le cadre de l’introduction des nouvelles cartes de débit Mastercard et Visa, l’Union suisse des arts et métiers usam – l’organisation faîtière des PME – a toujours fait campagne contre les augmentations injustifiées des taxes et des frais. Elle formule aujourd’hui les demandes suivantes:

• Worldline/SIX Payment Services doit résoudre dans les plus brefs délais les problèmes techniques de différenciation entre les nouvelles cartes de Debit Mastercard/Visa Debit et les cartes de crédit qui conduisent à une sur-tarification pour les PME.

• Worldline/SIX Payment Services, qui se trouve dans une situation de quasi-monopole du côté de l’acquéreur, doit arrêter d’augmenter ses commissions sur le dos des PME.

• La COMCO doit fixer des commissions d’interchange (banques émettrices des cartes) avec transparence aussi durant la phase de lancement de nouvelles cartes sur le marché (3 ans ou 15% de part de marché).

• La COMCO doit clairement définir quand commencent ces phases de lancement et aussi les annoncer à l‘intention des PME.

• Les commissions d’interchange des banques doivent se rapprocher du modèle de l’Union européenne avec un taux de 0,2% pour les cartes de débit et de 0,3% pour les cartes de crédit après la phase de lancement.

www.sgv-usam.ch/fr

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