Publié le: 2 septembre 2022

À la rencontre des réfugiés ukrainiens

portrait – Pierre Cloux est un grand atypique. Cet ancien analyste avait lancé un fonds sur les valeurs suisses et emmenait ses clients visiter des boîtes suisses. En 2021, il rembourse tout le monde et met la clé sous la paillasson. Dialogue estival avec un passionné de la vie, observateur plein d’humour et d’empathie. Quand il se lance, il se lance!

Adepte de la «contrarian approach» et des sentiers de traverse, Pierre Cloux est parti à pied. Les gens disent: «Ah non, l’avion plus jamais!». Mais lui, il file dans ses chaussures en direction de l’Ukraine. Et avec des amis. Mais pourquoi? «Pour ne pas oublier ce qui est en train de se passer et surtout parce que j’avais envie de mettre quelque chose de concret sur ce cauchemar bien réel», nous confiait-il à son retour. Cet ancien analyste scrute depuis trente ans l’âme des entreprises. Nous l’avions croisé à quelques reprises avant et après la crise financière de 2008. Il avait alors quelque chose de l’acteur (Hal Holbrook), personnage intriguant dans «Les hommes du président», film culte réalisé par Alan J. Pakula, sorti en 1976 et consacré à l’affaire du Watergate. Pierre Cloux n’est pas Gorge Profonde (Deep Throat alias Mark Felt du FBI) qui se planque dans les parkings pour balancer des scoop à Woodward/Redford. Car tout ce qu’il raconte (ou presque) est public. Mais tous deux partagent un souci de vérité.

La fanzone de Pierre Cloux

Longtemps, il a habité Londres et il lui en est resté cette habitude d’écrire en anglais. Il aime écrire, la curiosité qu’il déploie dans ses newsletters est contagieuse. Le voici en train de fignoler un bouquin sur les trois dernières décennies. «Le livre que j’aurais aimé avoir lu il y a trente ans, ironise-t-il. Heureusement que ma fille est là pour m’aider.» Leur projet devrait voir le jour à la fin de l’année. Il est aussi destiné à ses chers investisseurs.

Car le fan’s club de Pierre Cloux est réel. Surtout depuis qu’il s’est fait connaître par une initiative originale. En 2008, il lance un fonds pour découvrir et soutenir des entreprises suisses: le Swiss Equity Discovery Fond était né. Il est devenu florissant après quelques années de lancement «pas faciles» dans le contexte post-crise financière. Sa méthode est originale, il emmène ses investisseurs sur le terrain.

Savoir s’arrêter à temps

De l’écriture à la scène, il a de nombreuses cordes à son arc. Il s’est ainsi investi dans le théâtre et figure au programme d’une troupe de Carouge (GE). Mais surtout il marche. Beaucoup. Parce que c’est un moyen de trouver de nouvelles idées et de les développer. Toujours accompagné, souvent d’un couple d’amis, parfois d’autres personnes, il se glisse dans la peau d’un pèlerin. Oui, car on a oublié de le dire, mais Pierre Cloux est un compostellien averti. Il est descendu «jusqu’au bout de l’Italie», a remonté le chemin du pèlerinage jusqu’à Athènes. Il y avait un projet pour pousser jusqu’à Jérusalem, mais la pandémie en a eu raison. Jusqu’ici.

Un Pierre Cloux dont les pensées sont un peu restées en chemin, là-bas.

En 2021, il décide de boucler son fonds après quelques exercices particulièrement réussis. «J’ai mis la clé sous le paillasson et remboursé tous les participants. C’était le bon moment, tout le monde commençait de s’en ficher de tout.»

S’arrêter à temps pour garder une expérience positive. Ne pas trop en faire, suivre ses intuitions. Il raconte les débuts, les angoisses, le lancement de ce fonds, la démarche consistant à visiter régulièrement les entreprises dans lesquelles on investit. Si possible avec les clients, pour lesquels Pierre Cloux organise des événements. Avec lui, toujours ce côté festif. «Les premières années ont été dures, ensuite le vent a soufflé dans la bonne direction. Mais nous avons eu tous les temps possible, du soleil, de la grêle, de la pluie et des bourrasques, de la neige et des tempêtes.» Début août, il nous racontait son dernier «trip». Un périple de douze jours à pied en Pologne, dans la région bordant la frontière avec l’Ukraine. En marche vers la fameuse région sur laquelle tous les regards sont tournés. Avec ce fameux couple d’Allemands, des gens avec lesquels il a déjà marché lors de ses pèlerinages précédents.

Vu en route vers l’Ukraine

Le train les emmène à Cracovie. Là aussi, il y a une route pour Compostelle, Elle passe par Kiev, la Pologne, l’Allemagne, la France puis file en Espagne. L’idée est de partir à la rencontre de ces gens qui fuient. De leur parler, d’établir un contact qui fasse sens. «Les plus jeunes parlaient anglais. Nous leur avons parlé. Comme nous avons parlé à ceux qui s’occupaient d’eux sur place», raconte d’une traite un Pierre Cloux dont les pensées sont un peu restées en chemin, là-bas.

Trois millions de personnes ont quitté l’Ukraine. Un million sont à Varsovie. «Cela pourrait sembler difficile, on s’attendrait à un certain chaos, mais en fait tout se passe bien. Nous avons vu un énorme mouvement de solidarité sur place, de la part des Polonais. C’était un point extrêmement positif.» Il se souvient du deuxième jour, le 2 juillet. «Une petite ville. Je vois une Subaru verte et un gars d’une trentaine d’années qui charge des bagages, il est visiblement très triste. Il est là avec sa femme et ses enfants. Sa maison est bombardée à Kharkiv. Et eux sont là, jetés sur la route. Tu vas survivre, mais tu restes traumatisé.»

François Othenin-Girard

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