Publié le: 8 décembre 2023

Gouverner pour rester dans l’impasse

argentine – Javier Milei, nouvel élu à la présidence, suscite des commentaires acerbes. Henrique Schneider passe en revue les principaux points de son programme et en évalue la faisabilité politique. Les racines du mal sont plus profondes et ancrées dans le pays.

«Milei n’est pas un problème pour l’Argentine. L’Argentine est un problème pour Milei.» Quelques secondes après l’élection de Javier Milei à la présidence, cette blague est devenue virale. Elle résume bien la situation.

Il est presque impossible de décrire la situation précaire de l’Argentine. Autrefois l’un des pays les plus riches au monde, c’est aujourd’hui une maison de pauvres. Un État qui exproprie régulièrement sa propre population. Un pays qui ne peut même pas payer les intérêts de sa dette. Une économie détruite par une crise permanente et l’inflation.

Cocktail néfaste

La raison de cet affaissement dans le tiers, voire le quart monde est d’ordre politique. Et cela dure depuis environ 80 ans. Le mélange de péronisme gauchiste, de dictature militaire opportuniste et de kirchnérisme encore plus gauchiste a mis à bas l’ancienne nation exportatrice avec une libre circulation des personnes dans le monde entier et sans aucun droit de douane.

Entre-temps, il y a eu des gouvernements réformateurs. Dans les années 1990, Carlos Menem a tenté d’intégrer le pays dans la chaîne de création de valeur mondiale, de renforcer les droits de propriété et d’endiguer l’inflation. Il a échoué à cause de la corruption de son propre gouvernement. De 2011 à 2015, le gouvernement de Mauricio Macri a voulu mener des réformes tout aussi libérales. Il a échoué à cause du système politique.

Et puis Milei est arrivé

Javier Milei est la dernière tentative en date pour hisser le pays hors du trou à rats dans lequel il s’est enterré. Par rapport aux structures existantes de l’Argentine, son programme peut être qualifié de radical. Partout ailleurs, il n’est rien d’autre que le mainstream réglementaire.

Le programme gouvernemental de Milei commence par le constat suivant: «L’État argentin est la cause principale de l’appauvrissement des Argentins parce qu’il est d’une taille éléphantesque.» Vient ensuite une profession de foi qui a toujours caractérisé les économies libérales en Europe: «Le rôle de l’État est de protéger les droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à la propriété des individus.»

Réforme structurelle de l’État

Sur le plan structurel, Milei veut redimensionner l’État. Il veut limiter le nombre de ministères. L’économie, la justice, l’intérieur, la sécurité, la défense, les relations extérieures et les infrastructures devraient avoir chacun leur ministère. Un nouveau ministère sera consacré au capital humain.

D’un point de vue suisse, on peut se demander pourquoi il faut huit ministères. Nous n’en avons que sept et notre économie est bien plus grande que celle de l’Argentine. De plus, Milei a donné une garantie d’emploi aux employés actuels de l’État. Ceux qui quittent les ministères sont placés dans des entreprises publiques. Et pour finir : avec la réforme de l’État, rien n’a encore été fait pour les gens.

RĂ©forme Ă©conomique

Du côté de l’économie, Milei propose une sorte de frein aux dépenses. Les dépenses publiques ne doivent pas dépasser 15 % de la valeur ajoutée annuelle. Un frein fiscal doit aussi être introduit. Sur le marché du travail, il veut endiguer l’influence des syndicats, introduire un marché du travail libéral sur le modèle suisse et mettre en place une assurance chômage et une assurance retraite.

De même, Milei souhaite réduire, voire supprimer, les droits de douane à l’importation et abolir les droits de douane à l’exportation. Les contrôles des capitaux doivent être supprimés, les entreprises publiques doivent être privatisées et l’Argentine doit devenir plus attractive en tant que place économique mondiale. Là encore, on peut se demander ce que ce programme a de particulièrement libéral. Même s’il était mis en œuvre, l’Argentine resterait encore bien en deçà des normes européennes – et celles-ci ne sont pas particulièrement libérales.

Réforme monétaire

Certaines personnes se disent choquées que Milei veuille supprimer la banque centrale. Ceux qui s’en émeuvent ne savent probablement pas ce que fait une banque centrale – et probablement pas non plus ce que veut Milei. Il veut lier la monnaie du pays au dollar américain. Il veut ainsi supprimer l’influence politique sur la monnaie. En Argentine, les gouvernements se servent de la banque centrale pour financer la dette publique. D’où l’inflation galopante dont souffre le pays.

L’indexation de la monnaie sur le dollar n’est pas une nouveauté pour les économies développées. Les couronnes du Danemark et de la Norvège sont arrimées à l’euro. Le dollar de Hong Kong est «arrimé» au dollar américain. Même le franc suisse a été lié à l’euro de manière asymétrique pendant un certain temps. Bien sûr, le Danemark, la Norvège et la Suisse ont encore une banque centrale. Hong Kong n’en a pas. L’Argentine n’en a pas besoin.

Et puis Milei s’en ira

Milei a un gouvernement. Mais il a aussi besoin d’un soutien au Parlement. Là-bas, son parti n’a qu’une petite base. Dans les provinces – les cantons argentins – il n’a également qu’une faible plate-forme. Cela signifie qu’il devra faire de nombreux compromis pour mettre en œuvre certaines parties de son programme. Les compromis signifient le maintien des structures, le versement d’argent et la corruption.

L’Argentine est candidate à l’adhésion à l’OCDE. Les réformes de Milei pourraient créer les conditions nécessaires pour que le pays atteigne les standards les plus minimaux de l’OCDE. Mais ces réformes risquent d’échouer en raison de l’Argentine elle-même. Le pays, rongé par le péronisme et la pensée gauchiste, se complait dans une impasse.

Henrique Schneider

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