Publié le: 8 décembre 2023

Une démarche des plus douteuses

GREENWASHING – Le Conseil fédéral lance un projet de réglementation pour prévenir les abus du greenwashing dans le secteur financier. Il s’appuie sur son propre document de synthèse datant de 2022 – ce qui est hautement discutable.

En décembre 2022, le Conseil fédéral a publié sa position concernant la prévention du greenwashing dans le secteur financier. Il a ensuite mené plusieurs consultations avec les parties prenantes. Avant cela, l’Association suisse des banquiers s’était elle-même dotée d’une autorégulation en la matière.

Apparemment, tout cela n’a servi à rien. Car dans le communiqué de presse du Conseil fédéral du 25 octobre 2023, on découvre que le DFF soumettra au Conseil fédéral un projet de consultation d’ici fin août 2024 au plus tard. En précisant qu’au cas où le secteur financier présenterait tout de même une autorégulation qui mettrait effectivement en œuvre le point de vue, le DFF renoncerait à d’autres réglementations.

Des aberrations flagrantes

Il est donc manifestement plus important pour le Conseil fédéral d’imposer ses propres idées que de s’aligner sur l’économie réelle. Car d’une part, l’exécutif se moque de l’autorégulation déjà existante au sein des banques. Et d’autre part, il ne veut pas non plus écouter les parties prenantes qui avaient clairement déclaré que le développement durable relevait du marché et ne devait pas être réglementé.

Le Conseil fédéral semble se ranger à l’avis que la réalité n’est pas à prendre en compte. Seule sa propre prise de position, élaborée dans la tiédeur des bureaux à Berne, serait pertinente pour le secteur financier. Que faut-il penser de ce document?

Démonstration d’incompétence

Le Conseil fédéral montre (en substance dès la page 2) à quel point il ne comprend rien à cette question. On y découvre des aberrations: «Le Conseil fédéral est donc d’avis que le marché financier a besoin d’une compréhension uniforme et claire des conditions générales dans lesquelles les objectifs de placement, et donc les produits et les services, peuvent être qualifiés de durables.»

Cela pose déjà un problème de principe. Car la durabilité est un vaste domaine. Il est faux de penser qu’il existe une solution «taille unique». De plus, cet objectif est également inutilisable dans la pratique. Actuellement, le domaine subit une évolution rapide, ce qui implique des phases d’expérimentation, une diversité d’approche, de la concurrence et de l’innovation. Vouloir tout normaliser d’emblée, c’est mettre en péril l’ensemble du développement. Le Conseil fédéral s’assure ainsi qu’il n’y aura pas de véritable «Sustainable Finance» en Suisse à l’avenir non plus.

Contexte juridique ignoré

Selon le Conseil fédéral (dès la page 3), les produits et services financiers qui visent à réduire les éventuels risques ESG ou à optimiser la performance poursuivent un objectif d’investissement purement financier et ne devraient donc pas être qualifiés de durables, à moins qu’ils ne poursuivent en outre l’un des objectifs d’investissement susmentionnés. La simple prise en compte des risques ESG relève plutôt des obligations fiduciaires. Apparemment, l’exécutif ne comprend pas la situation juridique en Suisse.

Aucun texte de loi ne stipule que l’ESG fait partie des obligations fiduciaires. C’est plutôt le contraire. En effet, là où l’ESG entre en conflit avec les objectifs commerciaux, les objectifs financiers doivent être privilégiés. Cette base s’est établie dans le monde entier, elle s’applique au plan juridique. Le fait que le domaine ESG – Environmental, Social, Governance – et le développement durable (économie, écologie, social) se recoupent et ne peuvent pas être conçus de manière binaire semble être aussi étranger au gouvernement que la base légale.

Une nouvelle bureaucratisation

Les demandes du Conseil fédéral conduisent à une bureaucratisation des placements durables. Au risque de nous répéter, on nage loin de la pratique. On y lit que la mise en œuvre des obligations de transparence susmentionnées doit être contrôlée par un tiers indépendant afin de pouvoir garantir la crédibilité des objectifs de durabilité. Hélas! Notre exécutif a sans doute oublié une fois de plus que la bureaucratisation génère des coûts. Dans cette Berne fédérale, on ne comprend probablement pas non plus que les coûts plus élevés, associés à d’autres réglementations éloignées de la réalité, nuisent justement à ces produits. Dans l’ensemble, la démarche du Conseil fédéral n’aurait pas pu être plus douteuse.

Henrique Schneider, usam

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