Publié le: 1 mars 2024

Financement: silence coupable

JOHANNA GAPANY – La sénatrice (PLR/FR) est membre de la Commission des finances (CdF) aux États, qu’elle a présidé jusqu’à la fin 2023. La discussion sur le financement de la 13e rente AVS a selon elle été occultée par les initiants. A eux de prendre leurs responsabilités.

JAM: Pourquoi les débats sur la 13e rente n’abordent-ils pas la question cruciale du financement?

Johanna Gapany: Les chances de gagner cette votation sont plus grandes en évitant de préciser que nous allons toutes et tous payer cette 13e rente et en ne mettant pas certains chiffres sur la table. Les initiants ont donc évité la question. Et pour l’instant, on ne regarde la pièce que sur une seule face, celle qui montre ce que l’on reçoit, mais pas ce que l’on paie. Je comprends qu’on soit tenté de dire oui à cette initiative et pour certaines personnes, elle ressemble à une solution idéale. Malheureusement, cette 13e rente vendue sans solution de financement n’a rien d’une amélioration de la situation pour les retraités. C’est au contraire la promesse d’une détérioration de la situation pour toute la population puisque nous allons toutes et tous la payer, via nos impôts, la TVA, l’augmentation des cotisations salariales.

Cette 13e rente, nous allons toutes et tous la payer, via nos impôts, la TVA, l’augmentation des cotisations salariales.

En contrepartie, les retraités qui sont dans une situation précaire ne verront pas d’amélioration dans leur quotidien et c’est ce que je regrette le plus dans ce débat. Pour améliorer leur quotidien, c’est une augmentation de la rente minimale qui doit être discutée. Ainsi, plutôt que de distribuer à tout le monde une rente supplémentaire, on aurait concentré les moyens supplémentaires sur la partie de la population qui en a vraiment besoin.

Quelles sont les possibilités qui permettraient vraiment de la financer?

Différentes options devront être analysées pour financer cette 13e rente et il faudra vraisemblablement cumuler différentes possibilités, mais aucune n’est sans conséquence pour la population. Un apport via le budget implique une réduction des dépenses dans un autre domaine. Il va donc falloir faire des choix loin d’être évidents. Un apport via la TVA implique une augmentation conséquente des prix pour toute la population, y compris pour les retraités, alors que la pression sur le pouvoir d’achat est déjà un défi pour justement toute la population.

Une augmentation des cotisations salariales implique une augmentation des charges pour les entreprises et les travailleurs, alors que ces derniers sont déjà touchés par des augmentations de charges en lien avec d’autres réformes et que la situation économique est particulièrement incertaine. En définitive, il faudra trouver entre 3,5 et 4 milliards pour la première année avec la promesse d’une croissance continue, et si les initiants évitent la question, la population – elle – aurait dû avoir le droit de savoir quel est le prix à payer.

Et Ă  quel prix?

Pour l’heure, il y a beaucoup de suppositions et les initiants sont invités à présenter maintenant la facture avec la proposition de financement. Nous avons déjà entendu certaines propositions et il est déjà clair que cette mesure est loin d’être gratuite ou sans conséquence pour la population. Augmenter la TVA d’un point coûterait environ 500 francs par an en moyenne pour une famille, selon les premières estimations.

Si on prend une part sur le budget de la Confédération – 800 millions sont envisagés –, alors il faudra faire des choix et des économies dans d’autres domaines puisque nous n’avons pas 800 millions de marge de manœuvre.

il faudra trouver entre 3,5 et 4 milliards pour la première année avec la promesse d’une croissance continue.

Prenons le budget 2024: on avait une marge de manœuvre de 14 millions, en tenant compte de la coupe transversale opérée par le Conseil fédéral de 1,5 à 2 %. Alors la question à laquelle on va devoir répondre est la suivante: où couper pour trouver 800 millions supplémentaires au minimum?

Sachant que ce ne sera pas dans l’armée puisque la situation internationale nous impose une augmentation du budget dans ce domaine et que ce ne sera pas dans la prévoyance non plus. Quant à l’agriculture, la formation, la santé ou encore les infrastructures, nous sommes beaucoup à penser que ce n’est pas le moment de couper dans ces domaines.

Et du côté de la prévoyance, à quoi faut-il s’attendre?

Jusqu’à présent, nous vivons avec une augmentation annuelle d’environ 4 % – ce qui est bien au-dessus de la croissance du PIB – et vu l’évolution démographique, cette tendance va s’accentuer. Aujourd’hui, 30 % du budget fédéral est consacré à la prévoyance. C’est 10 % pour la formation et la recherche par exemple, et environ 5 % pour l’agriculture. Ces chiffres ne signifient pas que nous devons abandonner notre système de prévoyance, mais que nous devons le renforcer, notamment en améliorant l’accès au deuxième pilier et en tenant compte des réalités comme la généralisation du temps partiel et l’augmentation de l’espérance de vie. Aussi est-il nécessaire de rétablir un équilibre entre les générations pour garantir notre cohésion et pour que les dépenses dans la prévoyance ne se fassent pas au détriment des investissements pour l’avenir de notre pays.

Finalement, pourquoi est-ce si difficile de faire passer une réforme des retraites?

L’un des principaux défis est l’évolution démographique et en particulier le fait que nous vivions de plus en plus longtemps à la retraite. C’est une bonne nouvelle, mais pour que cette période à la retraite se passe dans les meilleures conditions, certaines adaptations auraient dû être discutées depuis bien longtemps.

Pour rappel, trente années avaient passé avant la réforme AVS21. Avec le temps, cet âge de référence est devenu un acquis et même si nous sommes raisonnables, je comprends qu’on ne réponde pas spontanément «oui» à la question: voulez-vous travailler plus longtemps? Malheureusement, cette absence durable de réformes mène à un système qui ne correspond plus aux réalités et qui n’est plus durable d’un point de vue financier. La véritable question que nous devons nous poser est non pas si nous voulons ou non travailler plus longtemps, mais quelle retraite nous voulons, dans quelles conditions, et comment nous voulons organiser notre vie professionnelle.

À mon sens, nous devrions quitter le système de l’âge de référence et tenir davantage compte du nombre d’années travaillées et de l’espérance de vie. Aussi, certaines nuances sont à apporter puisqu’il n’est peut-être pas souhaité de travailler à 100 % au-delà de 65 ans, mais qu’une activité à temps partiel serait possible.

Une possibilité exprimée par les initiants consiste à assouplir le frein à l’endettement. N’est-ce pas une option assez raisonnable?

Il ne s’agit pas d’une solution, mais d’un problème, puisqu’on accepterait alors le principe d’un État qui s’endette de plus en plus. Un assouplissement serait envisageable pour une dépense exceptionnelle. Ce fut le cas pour les dépenses en lien avec la pandémie. Mais la 13e rente n’est pas une dépense exceptionnelle. Il s’agit au contraire d’une dépense exponentielle puisque le vieillissement de la population nous annonce une augmentation rapide et continue des dépenses pour la prévoyance.

Pour y répondre, il ne faudrait donc pas assouplir le frein à l’endettement, mais l’abandonner et par la même occasion souhaiter bon courage aux générations futures qui vont vivre dans une réalité tout autre que la nôtre puisqu’ils devront gérer un pays qui ne fait que s’endetter toujours plus.

nous devrions tenir davantage compte des années de travail et de l’espérance de vie.

Surtout, je remarque que cette solution va rapidement se retourner contre les initiants qui la proposent. Parce que le frein à l’endettement donne la possibilité de faire des réserves quand tout va bien, d’avoir les moyens d’opérer de grandes réformes et de soutenir tant la population que les entreprises en cas de crise. Sans ces réserves, la pandémie aurait été beaucoup plus douloureuse et nous n’aurions pas eu les moyens d’accompagner certaines réformes avec des compensations financières pour atténuer les effets sur la population.

Les personnes à la retraite sont-elles plus riches ou plus pauvres qu’on le pense ordinairement?

Un reportage de la RTS a dernièrement mis en avant certains chiffres. 9,6 % des personnes âgées de 18 à 64 ans ont des difficultés à joindre les deux bouts en fin de mois, contre 6,4 % des personnes âgées de 65 ans et plus. Alors les solutions face au coût de la vie doivent être apportées non seulement pour les personnes à la retraite, mais aussi pour toutes les personnes qui rencontrent des difficultés. Et je ne parle pas de subventions supplémentaires, mais d’une véritable politique qui encourage et soutient l’indépendance financière de chacune et de chacun.

Cela passe, notamment, par des investissements dans la formation, la formation continue, par la lutte contre toute nouvelle taxe ou augmentation de taxes. La politique du «toujours mieux» a mené au «toujours plus cher» qui pèse aujourd’hui sur la population et qui provoque un comportement parfois contradictoire. Prenons le thème de la production alimentaire. Nous renforçons de plus en plus les conditions de production et provoquons ainsi une augmentation du prix de l’alimentation. En parallèle, le consommateur achète des produits importés qui ont été produits dans des conditions que nous avons interdites. En plus et au-delà du renforcement du pouvoir d’achat pour tout le monde, nous avons besoin d’un système de retraite plus solide et plus flexible.

La situation actuelle n’est idéale pour personne et je tiens à rappeler que si la prévoyance coûte cher et qu’elle représente une grande partie des dépenses, les retraités ne sont pas responsables de cette situation et nous avons tous un rôle à jouer pour changer les choses et rendre notre système meilleur.

le «toujours mieux» a mené au «toujours plus cher» qui pèse aujourd’hui sur la population.

Parlons du deuxième pilier, une réforme a passé au Parlement et sera soumise à la population, puisque le référendum a abouti en juillet 2023. Qu’est-ce que cette réforme va apporter si elle passe?

Il y a deux pans principaux dans cette réforme: la modification des conditions pour cotiser au deuxième pilier et l’abaissement du taux de conversion de 6,8 à 6 %. L’abaissement du taux de conversion doit permettre de rétablir un équilibre entre les générations et de respecter ainsi le contrat intergénérationnel. Aujourd’hui, une forte redistribution est constatée de la part des actifs vers les retraités et elle est contraire au principe du second pilier. En passant à 6 %, elle est moins importante, mais elle existe toujours.

L’autre partie de la réforme est celle à laquelle je tiens le plus car il s’agit d’améliorer l’avoir à la retraite et de garantir que celles et ceux qui travaillent à temps partiel et/ou cumulent des emplois puissent également se constituer un second pilier.

C’est un progrès déterminant qui va réellement améliorer la retraite de la population de ce pays, et en particulier celle des femmes, qui représentent aujourd’hui la part la plus importante de la population qui n’a pas de second pilier. Pour rappel, un tiers des femmes n’ont pas de deuxième pilier. Techniquement, il s’agit de réduire le seuil d’accès à 19 845 francs, contre 22 050 francs aujourd’hui. 100 000 personnes sont concernées, dont 70 000 qui seront nouvellement assurées et 30 000 qui seront assurées avec un revenu plus élevé. Aussi est-il prévu de cumuler les revenus pour éviter qu’une personne ayant plusieurs emplois ne se constitue pas de deuxième pilier. En plus, le passage de quatre taux différents à deux taux permet de réduire la pénalisation actuelle des travailleurs âgés. À partir de 45 ans, le taux ne changera désormais plus, ce qui est une bonne chose pour favoriser l’employabilité des personnes concernées qui sont aujourd’hui pénalisées en raison des charges plus élevées.François Othenin-Girard

Interview réalisée avant le vote

du dimanche 3 mars 2024.

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