Publié le: 1 mars 2024

Lanceurs d’alerte: la mauvaise mode

La Suisse doit se conformer aux exigences de l’OCDE et protéger les lanceurs d’alerte. C’est en substance l’opinion du Conseil des États qui avait très largement soutenu une motion Noser et exigé de modifier la législation pour protéger ces nouveaux héros, de ceux qui ne portent pas de capes mais aimeraient bien.

Nonobstant la pression moralisatrice ambiante, la Commission des affaires juridiques du National a refusé ce poncif lassant et, suivie par le plénum, a refusé ce texte. En substance, il était exigé de nous, sous la terrible menace d’une haute mission d’inspection de l’OCDE, d’imposer aux entreprises privées de mettre à disposition de leurs collaborateurs de nouvelles infrastructures administratives pour protéger toutes les personnes qui auraient constaté des cas de corruption. Bien sûr, si ces personnes venaient à balancer leur employeur à la justice pénale ou administrative, le droit aurait dû être modifié pour imposer l’obligation de maintenir le contrat de travail de ces gens. Je te trahis, tu me gardes.

Actuellement, les «whistleblowers» sont protégés par une jurisprudence du Tribunal fédéral. Le licenciement d’un collaborateur qui aurait dénoncé des faits pénaux peut, à certaines conditions, être considéré comme abusif et ouvrir la voie à une indemnité. C’est une protection équitable, mais insuffisante aux yeux de la minorité de gauche qui veut absolument encourager tous les travailleurs de notre pays à se muer en bras armé de la police.

Le droit suisse prévoit que l’employé doit fidélité à son employeur. Pas au procureur. Pas à la police. Pas au fisc. Pas à l’État. Certes, il n’est pas question ici d’encourager les comportements illicites, mais est-ce le rôle d’un salarié de se mettre du côté de celui qui poursuit celui qui verse le salaire? Du point de vue du Code des obligations, certainement pas.

Aujourd’hui, il est question de lutte contre la corruption. Mais on connaît la musique: si la boîte de Pandore est ouverte, demain on invitera les lanceurs d’alerte à dénoncer tous les actes illicites, et en particulier le crime de lèse-majesté par excellence dans notre société hyperétatiste: l’évasion fiscale.

J’imagine cette Suisse fantasmée par les aficionados des «whistleblowers». Ce monde fait de vengeurs masqués qui trahiront leur employeur, leurs voisins, leurs amis. Ce salarié déçu qui balancera au fisc son employeur pour avoir accepté un mandat «au black». Cette situation absolument insupportable qui doit pousser toute personne à appeler la police. Grâce aux mesures inspirées par l’OCDE, ce collaborateur vertueux sera protégé contre toute forme de licenciement. Et l’employeur malhonnête pourra être sanctionné comme il se doit. Monde merveilleux en perspective.

Dans cette société de la délation, on lavera plus blanc que blanc. Il n’est pas certain en revanche que la productivité, si chère à ceux qui comptent dessus pour financer l’AVS, continue de croître. Et il n’est pas sûr non plus que l’ambiance au travail s’améliore.

La Suisse a déjà fait face au bandit Falciani. Présenté comme un héros par notre voisin français incapable d’équilibrer un budget depuis 1974, ce monsieur a trahi son employeur, sali une branche entière de notre économie et traîné dans la boue la réputation de notre pays. Le tout pour empocher les deniers de Judas. En termes de moralité, on a vu mieux.

À la fin, le National n’a pas cédé à la mode ambiante et a refusé de protéger les lanceurs d’alerte. Dénoncez qui vous voulez, mais assumez-en les conséquences. Et l’on peut comprendre que celui qui a été trahi ne souhaite plus payer le salaire de son délateur. Enfin, et pour répondre à ceux qui poussent des cris d’orfraie sur l’immoralité de notre décision, rappelons les chiffres de la corruption, établis par «Transparency International», cet organisme qui épingle les États pour ce motif. Au septième rang mondial, la Suisse coiffe largement au poteau la plupart des pays qui protègent les dénonciateurs. Comme quoi, les bonnes intentions ne produisent pas toujours les meilleurs effets.

* conseiller national (PLR/VS)

philippe.nantermod@parl.com

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