Publié le: 3 mai 2024

La désindustrialisation, – des paroles et du vent

analyse – Chaque année, la Suisse brandit le spectre de la désin-dustrialisation. Il s’agit d’une fiction un brin fantomatique, mais dont certains traits demeurent bien réels.

Les économistes distinguent trois secteurs dans l’économie. Le primaire regroupe l’agriculture, la sylviculture et la pêche. Le secondaire prend en compte la transformation des matières – à savoir les activités extractives, l’industrie manufacturière et la production de biens. Sans oublier la production et la distribution d’énergie, la distribution et le traitement de l’eau, la dépollution – et tout le secteur de la construction. Le tertiaire comprend les services: commerce, tourisme ou place financière, la liste est longue.

Comment situer l’industrie? On entre ici dans le flou. Techniquement, on la désigne souvent comme «manufacturière et productrice de biens». Beaucoup, y compris la Confédération, utilisent les termes «industrie» et «secondaire» comme des synonymes.

Dans les chiffres

Les économistes recourent volontiers aux statistiques économiques pour mesurer l’importance d’un secteur. Typiquement, on essaie de déterminer la contribution d’une activité à la valeur ajoutée totale du pays. Ainsi, en Suisse, environ 25,8 % du produit intérieur brut provient du secondaire – selon les données de l’Office fédéral de la statistique pour l’année 2022. Environ 0,6 % provient du primaire et le reste (74 % environ), des services.

Le secondaire présente donc une importance plus grande en Suisse que dans l’UE ou aux États-Unis. Il y représente respectivement 23 et 18 % du produit intérieur – selon la Banque mondiale pour l’année 2022. Que ce soit en Suisse, dans l’UE ou aux États-Unis. Ces proportions sont restées stables sur dix ans.

Industrie vs secondaire

Mais en scrutant les chiffres de plus près, on ne peut pas assimiler le secondaire à l’industrie, même si le sens commun et la Confédération le font. Il faudrait au moins faire la distinction entre la construction et l’industrie, toutes deux dans le deuxième secteur. Le mieux est de comprendre le terme «industrie» comme l’industrie manufacturière et la production de biens. Ces activités représentent 18,9 % de la valeur ajoutée suisse. La construction en représente 4,8 %.

Ces chiffres détaillés mettent en évidence un autre point. À savoir que la fameuse désindustrialisation relève du baratin. En effet, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut est stable depuis au moins 1995. Elle s’élevait alors à 19,5 %. La baisse à 18,9 % en 2022 est minime. Au cours des trente dernières années, le produit intérieur brut a augmenté d’environ 130 %. La valeur ajoutée de l’industrie a donc également augmenté d’environ 100 % en chiffres absolus.

Réel vs fiction

Mais la création de valeur ne montre pas tout. Un coup d’œil sur les chiffres de l’emploi montre qu’il y a tout de même eu des changements. Au quatrième trimestre de l’année 1995, 1 million des quelque 3,2 millions d’emplois en Suisse relevaient encore du secteur secondaire – toujours selon l’Office fédéral de la statistique et mesurés en équivalents temps plein. Cela correspond à un taux de 32 %. L’industrie manufacturière a perdu 677 000 emplois, soit 21 %.

Les données du quatrième trimestre 2022 montrent que le deuxième secteur a encore généré environ plus d’un million d’emplois. Mais le total de tous les emplois est passé à environ 4,2 millions. Cela signifie que la part de ce secteur dans le total des emplois a diminué à environ 24 %. L’industrie manufacturière représentait environ 630 000 emplois, soit un taux de 15 %.

Bottom line

La désindustrialisation brille par son absence. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée est restée à peu près stable au cours des trente dernières années. Elle a augmenté parallèlement au produit intérieur brut.

Le nombre d’emplois dans le secondaire et plus particulièrement dans l’industrie est aussi resté stable. Ce qui a diminué, c’est sa part par rapport au total des emplois en Suisse. Mais cela ne permet pas de parler de désindustrialisation.

Henrique Schneider

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