En fait, c’est simple: nous avons besoin d’environ 50 % d’électricité en plus pour atteindre l’objectif net zéro. Mais pour la suite, les choses se compliquent: quelle est la part d’électricité produite sur place, et quelle est celle que nous achetons à l’étranger? Une solution suisse autonome – garantir à tout moment la disponibilité d’une quantité suffisante d’électricité produite en Suisse – s’avère la plus coûteuse pour l’économie nationale. Et un approvisionnement complet à l’étranger crée une dépendance qui n’est pas souhaitable. En fin de compte, la proportion d’électricité produite en Suisse et celle produite à l’étranger qui doit circuler en Suisse sont un choix politique et économique.
Fixer une part élevée d’auto-approvisionnement semble raisonnable. Il faut donc développer notre production électrique. Le 9 juin, le peuple a dit oui à la «loi fédérale sur la sécurité de l’approvisionnement en électricité», posant ainsi les jalons nécessaires. Mais depuis longtemps déjà , plusieurs organisations environnementales torpillent l’extension prévue avec des coûts supplémentaires et des retards. Le grand coup de pouce pour atteindre le zéro net n’est pas près de réussir.
Une Suisse au cœur de l’action
Il est névralgique que la Suisse se concerte avec ses voisins. Non pas dans le sens d’un plan B, mais en complément de l’extension nationale. S’entraider en matière d’électricité est une longue tradition en Europe. Et la Suisse était au cœur de cette tradition: en 1958, l’«étoile de Laufenburg» a permis de relier pour la première fois les réseaux allemand, français et suisse. Dès lors, l’échange d’électricité par-delà les frontières nationales était techniquement possible et économiquement viable.
Le manque de production d’électricité dû aux travaux d’entretien de plusieurs centrales pouvait être compensé par l’importation d’électricité. Même les pics de demande à court terme – par exemple à midi, lorsque toutes les plaques sont allumées dans les cuisines – pouvaient être couverts par l’échange transnational d’électricité. Pendant des décennies, l’énergie hydraulique suisse a gagné sa vie en turbinant de l’eau à midi pour l’exporter, puis en la pompant la nuit dans le lac de retenue avec de l’électricité nucléaire française obtenue à bon marché.
Réduits à l’état d’observateurs
Il n’est donc pas surprenant que la Suisse ait joué un rôle de premier plan sur le marché européen de l’électricité et qu’elle ait été membre fondateur de nombreux organes techniques. Pourtant, aujourd’hui, son fauteuil se trouve devant les salles de réunion. Que s’est-il passé? Comme l’UE a créé un marché intérieur européen de l’électricité au cours des vingt dernières années, notre pays est devenu un État tiers et en a été juridiquement exclu. Quel contraste: aucun pays européen ne dispose de plus de points de couplage frontaliers avec l’étranger que la Suisse. Dans le paysage fluvial européen, notre pays est progressivement passé du statut d’acteur marquant à celui d’observateur sur la touche.
Deux conséquences économiques concrètes: premièrement, la société nationale pour l’exploitation du réseau Swissgrid doit faire face à un nombre croissant de flux d’électricité non planifiés. Ainsi, un échange d’électricité entre l’Allemagne et la France, par exemple, entraîne le passage d’électricité par la Suisse. L’électricité suit le chemin de la moindre résistance physique et ne s’arrête pas aux frontières nationales.
Swissgrid doit alors réagir et exiger en quelques minutes des centrales partenaires qu’elles augmentent ou réduisent leur production, selon le cas, afin de stabiliser le réseau suisse. Si ce n’est pas le cas, le réseau s’effondre: c’est le black-out. L’électricité demandée à court terme est généralement l’électricité la plus chère. Nous le payons tous en fin de compte avec notre facture d’électricité. On peut tout de même se consoler en sachant qu’une solution isolée serait encore bien plus coûteuse pour la Suisse.
Deuxièmement, la réglementation de l’UE stipule qu’à partir de 2025 au plus tard, au moins 70 % des capacités transfrontalières du réseau d’un pays membre doivent être réservées à d’autres pays membres. Pour le pays tiers qu’est la Suisse, cela signifie une limitation juridique des capacités d’importation. En cas de froid prolongé en hiver, la Suisse ne pourrait plus importer la quantité d’électricité nécessaire. Cela augmente le risque de contingentement ou de coupures d’électricité imprévues.
Ce qui plaît et ce qui plaît moins
L’accord sur l’électricité actuellement en discussion avec l’UE devrait y remédier. Il permettrait à la Suisse de participer au marché intérieur de l’électricité. Plusieurs questions juridiques seraient clarifiées et la sécurité d’approvisionnement serait renforcée. Parallèlement, nos entreprises de production d’électricité auraient la possibilité de participer au marché européen sur un pied d’égalité. Nos centrales de pompage-turbinage pourraient justement faire valoir leur force en tant que batterie pour l’Europe, en utilisant les pics de production solaire allemands pour pomper de l’eau à bas prix et en ne turbinant qu’au moment où l’Allemagne connaît une accalmie.
Mais un accord sur l’électricité entre la Suisse et l’UE ne se fera pas seul, mais uniquement dans le cadre des Bilatérales III. Comme souvent avec les solutions globales: certaines choses plaisent, d’autres non. Le souverain devra procéder à une évaluation globale. L’accord sur l’électricité y jouera un rôle important, mais pas décisif.
Patrick DĂĽmmler, usam