Publié le: 9 août 2024

Vérifier la solvabilité, ça paie!

RAOUL EGELI – Actuellement, de nombreuses entreprises font faillite en Suisse. Le président de l’Union suisse des créanciers (Creditreform) recom­mande de vérifier la solvabilité d’un partenaire contractuel avant de con­clure une affaire. Et critique le fait que la classe politique ne s’engage pas plus en faveur des créanciers.

Journal des arts et métiers: Jamais autant d’entreprises n’ont fait faillite selon la presse alémanique. L’Union suisse des créanciers (Creditreform) que vous présidez aide les entreprises à éviter les pertes sur débiteurs. Comment évaluez-vous la situation?

Raoul Egeli: En raison de pertes sur créances non recouvrables relativement faibles pendant des décennies, la gestion des débiteurs a été négligée. Les créances résultant de livraisons et de prestations pèsent lourd au bilan. Si elles ne sont pas réalisées, toute entreprise se retrouve en difficulté. Depuis trois ans, une vague de faillites déferle sur le paysage entrepreneurial suisse et constitue un défi pour de nombreuses entreprises. De plus, la politique ne s’engage pas assez en faveur des créanciers. L’examen de la solvabilité, si important pour les crédits fournisseurs, est constamment remis en question et devrait même être limité. Lors de la récente révision de la loi sur la protection des données, seul un engagement intensif en faveur des créanciers a permis d’éviter cela.

Les nombreuses faillites ne sont-elles qu’un problème ou une chance?

Elles sont une nécessité. Les entreprises dont la rentabilité est insuffisante faussent le marché parce qu’elles se préoccupent en premier lieu d’assurer leur survie à court terme. Et souvent avec des prix bas qui faussent le marché.

Quelles sont les raisons de l’augmentation du nombre de faillites? S’agit-il de séquelles de la pandémie? D’entreprises fantômes, maintenues en vie grâce au soutien de l’Etat?

Les mesures Covid-19 de la Confédération étaient judicieuses, mais elles n’ont en fait accordé qu’un délai de grâce inutile à plus d’une entreprise en faillite. Plus de 70 000 entreprises n’ont pas encore remboursé ces crédits. L’invasion russe en Ukraine, les prix élevés de l’énergie, l’inflation avec l’augmentation des coûts de la vie ont achevé de rendre la situation encore plus difficile. Cela fait beaucoup de choses.

Les faillites privées comme les faillites d’entreprises sont en augmentation: comment cette donne impacte-t-elle les entreprises encore existantes?

Les faillites ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Avant qu’une entreprise ou un particulier ne tombe dans l’insolvabilité, de nombreux créanciers ont déjà perdu beaucoup d’argent. C’est malheureusement aussi dû au cadre juridique. Il rend difficile la mise en œuvre d’une créance. Pour les petits montants, les frais des offices des poursuites et des faillites sont bien trop élevés, et pour les sommes plus importantes, l’exécution n’est généralement pas judicieuse, car une reconnaissance de dette manuscrite doit être disponible pour éliminer l’opposition. Cela augmente considérablement le risque de jeter de la bonne monnaie derrière de la mauvaise sous la forme d’une avance de frais élevée pour l’ouverture de la faillite. Cela conduit à ce que des entreprises continuent d’exister longtemps, bien qu’elles soient prêtes à faire faillite.

Quelles chances de succès pour les créanciers en cas de faillite?

Zéro pour ainsi dire! 58 % des procédures de faillite sont suspendues faute d’actifs, 40 % supplémentaires sont liquidées en procédure sommaire. Et les 2 % restants sont presque tous révoqués. Il reste dans toute la Suisse une douzaine de faillites qui sont réglées dans le cadre d’une procédure ordinaire, en règle générale en dehors de l’administration. Le dividende moyen des faillites est inférieur à 3 %. Avec une avance de frais de 5000 francs, l’ouverture d’une procédure n’est statistiquement rentable qu’à partir d’une créance de 150 000 francs. Il n’est donc plus guère judicieux de miser sur les procédures administratives. Je recommande de confier suffisamment tôt de telles créances à des prestataires de services professionnels comme Creditreform. Les mesures préventives comme nos informations sur la solvabilité sont encore plus importantes, afin qu’un recouvrement ne soit pas nécessaire.

En cas de faillite, les PME doivent faire en sorte de rentrer dans leurs fonds. Comment s’y prendre?

Il s’agit de prendre le problème à la racine et de vérifier la solvabilité d’un partenaire contractuel avant de conclure la transaction. Car dans les faits, chaque crédit fournisseur, c’est-à-dire lorsque la livraison se fait sur facture, est un crédit en blanc. Creditreform met à disposition en ligne les informations nécessaires à l’examen de la solvabilité afin de pouvoir prendre rapidement cette décision et, en cas de doute, de ne livrer que sur paiement anticipé. Autre chose: il est également de la responsabilité des entreprises d’empêcher les consommateurs de s’endetter inutilement. Les particuliers ayant des problèmes de paiement ne doivent plus être livrés à crédit, dans leur propre intérêt également. De nombreux consommateurs continuent alors simplement à chercher, jusqu’à ce qu’ils trouvent une entreprise qui accepte de faire une affaire sur facture. Mais cela n’a aucun sens de reprendre les clients insolvables des concurrents.

Les factures payées en retard sont une source d’irritation pour les entreprises. Ou lorsque des montants minimes ne sont pas réglés parce que le travail de recouvrement semble trop important. Comment y remédier?

De nombreuses entreprises pensent qu’une vérification de la solvabilité n’est rentable que pour des montants importants. Ce n’est pas vrai. Un contrôle rapide de la solvabilité est toujours indiqué, justement parce que les petites créances ne valent pas la peine d’être poursuivies. Si l’on part d’un rendement de 5 % sur le chiffre d’affaires, le bénéfice s’élève à 12,50 francs pour une créance de 250 francs. L’office des poursuites demande 33,50 francs pour établir un commandement de payer, soit bien plus que le double. Et cela ne tient même pas compte de ses propres dépenses pour les rappels. Cela montre qu’il vaut toujours la peine de vérifier la solvabilité au préalable, car la probabilité d’un défaut de paiement diminue rapidement. Cela peut facilement représenter 1 à 2 % du chiffre d’affaires.

Quel est le rôle de la numérisation?

La vérification de la solvabilité est devenue encore plus importante dans le commerce en ligne anonyme. La plupart des clients souhaitent un paiement sur facture. Celui-ci ne peut être accordé que si la solvabilité est suffisante. Il doit être effectué très rapidement, immédiatement après la saisie des données du client et avant le processus de paiement proprement dit. En cas de doute, le principe est le suivant: payer d’avance ou renoncer à une livraison.

À cela s’ajoutent d’autres risques, comme l’usurpation d’identité ou d’autres types de fraude. Là aussi, nous apportons notre aide grâce à nos processus de contrôle. Le paiement sur facture est également très important pour le consommateur. C’est en effet le seul moyen pour lui de rester maître du processus de livraison. Nous connaissons tous les cas où quelqu’un effectue un paiement anticipé en toute bonne foi, mais ne voit rien de la marchandise. Dans ce cas, le consommateur devrait en fait vérifier la solvabilité du fournisseur.

Une faillite ne peut certes jamais être exclue. Néanmoins, quelles mesures préventives les PME peuvent-elles prendre pour ne pas se retrouver dans la situation de devoir réclamer péniblement des prestations impayées?

Outre l’examen de la solvabilité avec Creditreform, chaque entreprise devrait également concevoir ses conditions générales de manière à ce que les dépenses occasionnées par le débiteur pour le recouvrement des créances puissent aussi être imposées. Cela comprend des points tels que les frais de rappel, le remboursement des dépenses du créancier résultant du retard de paiement, le «dommage dû au retard», mais aussi les intérêts de retard.

On lit régulièrement des articles sur la «cavalerie de la faillite» («Konkursreiterei»). Quel est le problème?

Chaque faillite dont un entrepreneur est responsable laisse des traces qui limitent sa solvabilité. C’est pourquoi les responsables initiaux font appel, contre rémunération, à des «cavaliers de la faillite» qui, en tant qu’hommes de paille, appelés «croque-morts» dans le jargon, conduisent l’entreprise à la faillite et commandent en outre des marchandises qu’ils ne paient jamais et revendent ensuite. Ils s’enrichissent ainsi doublement. L’examen de solvabilité de Creditreform permet, grâce à des analyses sophistiquées des faillites des personnes concernées, de détecter ces agissements peu scrupuleux.

Ouvrons un peu la perspective: «faire des dettes» ou «avoir des dettes» était autrefois mal vu. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ou un changement de mentalité s’est-il produit? Et qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir?

Lorsque je parle avec certains représentants, j’ai presque l’impression que la commande sur facture est un droit du consommateur. Pourtant, c’est le fournisseur qui accorde un crédit en blanc et qui, à l’inverse, doit avoir la possibilité de vérifier la solvabilité du partenaire contractuel. Ce droit ne doit pas être encore plus limité. En tant que Creditreform, nous nous engageons pour cela.

Venons-en à la politique: protège-t-elle trop les débiteurs, et si oui, comment pourrait-on changer cela?

C’est malheureusement le cas. Les droits des créanciers sont négligés. Toute entreprise qui livre ou fournit des services sur facture supporte le risque de non-paiement des créances. Le Code des obligations connaît le principe de la transaction «du début à la fin». Mais dans la réalité, c’est toujours une partie contractante qui assume le risque de défaillance, que ce soit le fournisseur avec sa livraison contre facture ou le client qui doit effectuer un paiement anticipé. Il ne s’agit pas de protéger les entreprises en soi, mais de les soutenir dans leur rôle de créancier afin qu’elles puissent exercer leur droit légitime de vérifier la solvabilité de leur clientèle.

Pour conclure: vous êtes prési-dent du conseil d’administration du groupe Egeli, une entreprise familiale qui emploie environ 220 personnes. Quels sont les plus grands défis pour votre PME et que souhaitez-vous que la politique fasse?

Les exigences réglementaires imposées aux entreprises me donnent du fil à retordre. Pour moi, il est essentiel de tenir davantage compte de la protection des créanciers. Je m’engage depuis des années en ce sens. Les entreprises n’ont malheureusement pas le droit de vote, ce qui diminue leur perception en tant que créanciers dans la politique. Mais si les entreprises ne peuvent pas compter sur le fait que leurs factures seront payées, il manque un élément central dans la vie des affaires: la confiance. En revanche, il est faux que les entreprises intègrent simplement les pertes sur créances dans le prix et pénalisent ainsi les clients qui paient.

Interview: Rolf Hug

adaptation: JAM

www.creditreform.ch/fr

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