Publié le: 11 mars 2022

«Parés à tout»

UKRAINE – Alex (Oleksa) Stelmakh est le fondateur et CEO de Leobit, une PME ukrainienne de développement et d’externalisation de logiciels. Au téléphone, il nous raconte comment il se réorganise, entre doutes et espoirs.

«Si nous devons partir, tout est prêt!» Au téléphone, Alex (Oleksa) Stelmakh se ressaisit. Nous évoquions les perspectives, les scénarios possibles. Puis, le fondateur et CEO de Leobit, une société ukrainienne de développement et d’externalisation de logiciels, est rappelé aux affaires sur une autre ligne. Nous l’avions rencontré à Zurich en septembre 2021. Il présentait alors sa PME face à un parterre d’entrepreneurs suisses. Il n’a fallu que quelques minutes entre le message que nous lui avons envoyé et sa réponse, par téléphone. Voici son témoignage.

«La grande majorité des collaborateurs restent»

«Nous sommes basés à Lviv, une ville située à environ 70 kilomètres de la frontière polonaise, où se trouve notre siège. Nous y sommes en ce moment même, avec la plupart de nos employés et leurs familles. Certains nous ont rejoints et ont fui les zones de guerre. Si quelques personnes ont décidé de partir à l’étranger par choix personnel, la grande majorité a tenu à rester. À partir de ce vendredi (le 4 mars 2022), les hommes âgés de 18 à 60 ans ne pourront plus franchir la frontière, mais jusqu’ici, le passage est resté libre.

«En tant qu’homme d’affaires mais aussi en tant que citoyen ukrainien, ma position et celle de mes proches est la suivante. Nous avons trois priorités: les deux premières, aussi importantes l’une que l’autre, sont de protéger notre pays et de protéger la vie de notre peuple. La troisième, bien sûr, est que nos entreprises doivent continuer à fournir des services de qualité et poursuivre notre activité opérationnelle.»

Une fois le choc du début de ce conflit passé, ils se sont remis au travail. Sur 160 employés, plus de 90 % travaillent à temps plein, tout en se coordonnant aussi avec des activités de volontariat afin de soutenir l’armée et les réfugiés. «Les autres travaillent à temps partiel pendant leur déménagement, mais passeront en mode plein temps dès qu’ils auront fini d’aménager leur nouveau lieu de vie et celui de leur famille.»

«Un Suédois veut tous nous accueillir!»

«C’est complètement fou, ce qui nous arrive!» Oleksa raconte longuement comment ses clients basés aux États-Unis, en Europe et aussi en Suisse les soutiennent de toutes les manières possibles. «Aucun d’eux n’a voulu arrêter ou faire une pause dans les contrats. Certains ont versé des dons à des organisations non gouvernementales, comme la Croix-Rouge. C’est le cas d’un client suisse qui a fait un don de 25 000 francs. D’autres sortent aussi leur porte-monnaie mais ne communiquent pas forcément à ce sujet. C’est le geste qui compte, pour montrer que nous nous serrons les coudes et que nous sommes unis face à cette agression stupide au cœur de l’Europe, par un régime que nous considérons comme fasciste.»

Au final, peu de collaborateurs se trouvent à l’étranger en ce moment. Cela pourrait changer: «Pour l’instant, nous n’avons qu’une dizaine de salariés en dehors de l’Ukraine. À Stockholm, un entrepreneur a même proposé de tous nous accueillir, tous les collaborateurs de notre entreprise et aussi des gens qui seraient liés à d’autres projets pour des entreprises suédoises. Une entreprise en Norvège nous a proposé de transporter tout notre matériel depuis la frontière.»

Pour cet entrepreneur, toutes les options envisageables ont été analysées: «J’espère vraiment que cette option restera un plan B ou même C et que nous n’aurons pas à partir. Mais si nous devons partir, tout est prêt, nous avons parlé à nos employés et ces derniers se tiennent prêts.»

«En cas d’urgence»

Cette guerre montre aussi à quel point l’agilité numérique est névralgique. «Tous nos collaborateurs travaillent à distance sur des ordinateurs portables, nous disposons d’une infrastructure informatique basée sur le cloud, stockée sur des serveurs américains et européens et ne sommes pas dépendants d’un quelconque bureau. Nous avons des entités juridiques distinctes aux États-Unis et au sein de l’Union européenne. En cas d’urgence, toutes les transactions avec la clientèle et les employés seront transférées vers ces entités.»

Oleksa se fend aussi d’un commentaire plus général: «Nous apprécions grandement le fait que l’ensemble du monde civilisé soit aux côtés de l’Ukraine en ce moment, et nous espérons vraiment que cette guerre se terminera bientôt. Ensemble, nous devons mettre fin à l’agression russe contre le monde européen une fois pour toutes.»

Quelques jours plus tard, au moment de boucler (le 10 mars 2022), la situation d’Oleksa Stelmakh restait inchangée.

Propos recueillis par François Othenin-Girard

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