Publié le: 6 novembre 2015

«De l’argent perdu!»

DORIS LEUTHARD – Plus de sécurité pour la population, pour le trafic routier et l’économie: la ­ministre des transports s’engage en faveur de la construction d’un deuxième tunnel au Gothard.

Journal des arts et métiers: En 2016, vous allez inaugurer les NLFA... une consécration après presque dix années passées au Conseil fédéral! Pourquoi, outre les nouvelles transversales alpines, faut-il un tunnel routier supplémentaire au Gothard?

n Conseillère fédérale Doris Leuthard: La Suisse veut transférer un maximum de marchandises sur le rail, ce que le nouveau tunnel de base du Gothard permettra. Mais pour une distribution de proximité des marchandises en Suisse et pour le trafic intérieur, des liaisons routières fiables restent indispensables. Il est donc important d’avoir une bonne solution durant la rénovation du tube existant. Un second tube garantit le maintien d’un axe routier à travers le Gothard. C’est capital pour la population et l’économie. N’opposons pas la route au rail!

«UN SECOND TUBE GARANTIT UNE CONNEXION PERMANENTE AU GOTHARD. C’EST CAPITAL POUR LA POPULATION ET L’ÉCONOMIE.»

Après avoir examiné différentes variantes pendant plusieurs années, votre département, le Conseil fédéral ainsi que le Parlement sont convaincus par le projet de construction d’un second tube pour permettre la rénovation du tunnel existant. A vos yeux, pourquoi cette solution est-elle la meilleure?

n Cette solution permet d’une part de maintenir l’axe du Gothard ouvert durant la réfection du tunnel existant. D’autre part, elle permettra de mieux gérer les futurs travaux de rénovation. Ce sont les générations futures qui en profiteront. Dans le cas contraire, il faudra envisager une fermeture complète du tunnel tous les 30 à 40 ans. Celle-ci impliquera alors la construction de coûteuses installations de ferroutage pour voitures et camions qu’il faudra démonter par la suite. C’est de l’argent perdu! En revanche, la construction d’un second tube est une solution durable. De plus, une fois l’ancien tunnel ­rénové, cette option augmentera la sécurité du trafic en instaurant une circulation à sens unique dans deux tubes séparés. Il sera ainsi possible de réduire drastiquement le risque de collisions frontales et latérales.

Ce type de projet de réfection est très courant en Suisse et dans les pays voisins. Pourquoi celui du Gothard déclenche-t-il des débats si passionnés?

n Le Gothard est entouré de mythes et de légendes. Pendant des siècles, sa traversée était périlleuse comme le raconte la légende du pont du Diable. Le Gothard est devenu une sorte de symbole de la résistance à partir duquel s’est développée la notion de protection des Alpes. Tout cela affecte le débat actuel. C’est précisément parce que le Gothard a toujours été un passage alpin important, que la plupart des personnes sont conscientes de la nécessité de disposer en permanence d’une liaison sûre.

«CONSTRUIRE ET DÉCONSTRUIRE UNE PLATE-FORME DE FERROUTAGE, C’EST DE L’ARGENT PERDU!»

Sans la construction d’un second tube au Gothard, le Tessin serait coupé du reste de la Suisse pendant des années. Quel serait l’impact sur la cohésion nationale?

n Ce serait préjudiciable! Un grand nombre de personnes et d’entreprises empruntent quotidiennement le tunnel. A l’exemple de la scierie Filippi qui travaille le bois de Suisse centrale à Airolo, avant de renvoyer les copeaux de bois dans les centrales de chauffage de Göschenen et Schatt­dorf. C’est toute une chaîne de valorisation qui dépend du tunnel. Sa fermeture durant plusieurs années briserait cette chaîne: fournisseurs et clients chercheraient d’autres partenaires. Même les grandes entreprises auraient des problèmes et devraient supporter des coûts supplémentaires. Evitons ce gâchis: le tunnel routier du Gothard est essentiel pour l’ensemble de notre pays! Sans oublier que l’Italie du Nord est l’un des plus importants partenaires commerciaux de la Suisse. Enfin, il est de notre devoir d’assurer de bonnes liaisons entre toutes les régions. Que se ­passerait-il si la fermeture d’un tunnel routier engendrait l’isolement d’autres régions ?

«DU TUNNEL DU GOTHARD DÉPEND TOUTE UNE CHAÎNE DE VALORISATION.»

Les adversaires du second tube exigent que, pendant toute la rénovation du tunnel du Gothard, l’ensemble de la circulation soit mise sur rail. Pourquoi n’envisagez-vous pas cette option?

n A cause des graves problèmes que cela engendrerait: à commencer par la construction de coûteuses plateformes de transbordement pour voitures à Göschenen et Airolo et pour camions à Erstfeld et Biasca. L’argent serait gaspillé, car, une fois le tunnel rénové, ces installations devraient à nouveau être démontées! En outre, elles nécessitent beaucoup d’espace et sont très controversées. Personne n’en veut et on peut déjà s’attendre à des oppositions de la part des communes et des propriétaires fonciers. Enfin, dans 30 à 40 ans, nous serions à nouveau confrontés au même problème. En revanche, avec un deuxième tunnel, nous disposerions d’une solution durable.

Ministre des transports, vous êtes également ministre de l’environnement. Dans quelle mesure la construction et le démantèlement des plate-formes de ferroutage impacteraient-elles l’écosystème des vallées uranaises et tessinoises?

n L’impact serait grand. En optant pour la meilleure variante de transbordement de camions, il faudrait six voies ferrées pour chacune des plate-formes au nord et au sud. Le transport serait assuré cinq jours et demi par semaine, de 05h à 22h30. En comptant le chargement et décharge­ment des camions, cela correspond à une exploitation de 04h du matin à minuit. De nuit, les terminaux devraient être éclairés par de puissants projecteurs. En outre, il faudrait assouplir l’interdiction de circulation de nuit dans la région pour que les camions puissent atteindre les terminaux à temps. Mais surtout, comme l’installation aurait une capacité limitée à seulement 600 000 camions par an, une bonne partie du trafic devrait être déviée sur d’autres axes alpins impliquant un impact sur les écosystèmes, la sécurité et les capacités des régions concernées.

«LES TERMINAUX DE FERROUTAGE SONT TRÈS CONTROVERSÉS, PERSONNE N’EN VEUT.»

Que répondez-vous à ces gens qui craignent une augmentation du trafic avec deux tubes en exploitation? Le second tube remet-il en cause la protection des Alpes?

n Non, la protection des Alpes reste garantie. D’une part grâce à l’article constitutionnel et, d’autre part, grâce à la nouvelle restriction inscrite dans la loi: seule une voie de circulation peut être exploitée dans chaque sens de circulation. On ne peut donc pas exploiter deux voies par direction. Il faudrait modifier la Constitution, mais ni le Conseil fédéral ni le Parlement, ni même les cantons ne le souhaitent. Le trafic unidirectionnel dans chaque tube renforce la sécurité. De plus, l’inscription dans la loi du système de régulation garantit le respect des distances de sécurité minimales entre les poids lourds.

«LA PROTECTION DES ALPES reste GARANTIE.»

Dans les agglomérations, la circulation est plus dense qu’au Gothard. Alors pourquoi construire un tube à près 2,8 milliards de francs?

n Au Gothard, il s’agit d’une réfection classique – nous n’avons pas le choix. C’est un peu comme pour le tunnel du Belchen où un ­troisième tube sera construit pour pouvoir effectuer les travaux de rénovation. Parallèlement, la Confédération investit beaucoup dans les ­projets d’agglomération et dans l’élimination des goulets d’étranglement sur les routes nationales. Ces différents projets sont nécessaires. Aucune des mesures prévues dans le FORTA et destinées à éliminer les goulets d’étranglement ne sera sacrifiée à cause du Gothard!

De nombreux citoyens, en parti­culier de Suisse romande, n’empruntent que rarement le Gothard. Pour eux, l’évitement de Morges ou les projets de Neuchâtel ou Genève sont plus importants.

n L’autoroute de contournement de Morges, à l’instar de celle du Glatttal, est un complément du réseau. Le coût de ces deux projets se monte à environ 6,6 milliards de francs. Ils font partie intégrante du FORTA et chaque région a ses projets légitimes. Néanmoins, dans notre pays, le développement du réseau des routes nationales implique la solidarité de toutes les régions.

Quels seraient les répercussions sur l’économie et l’environnement en cas de refus?

n Le tunnel serait fermé au trafic pendant plusieurs années et l’important axe nord-sud serait interrompu. La Confédération devrait construire des plateformes de ferroutage pour voitures et camions qui ne parviendraient cependant pas à absorber l’ensemble du trafic, estimé à 6 millions de véhicules par an. Une partie du trafic devrait alors être déviée par le San Bernardino et le Simplon avec toutes les nuisances que cela implique. Il n’est pas étonnant que les gouvernements des cantons des Grisons et du Valais s’opposent à cette variante et plaident en faveur de la construction d’un second tube. Qu’en est-il du tourisme? La solution du ferroutage pendant plusieurs ­années plomberait ce secteur économique. Enfin, répétons-le, un tunnel à circulation bidirectionnelle ne permet pas de garantir la sécurité des usagers. Les inconvénients seraient donc énormes! La réfection assortie de la construction d’un second tunnel garantit en revanche le transit sans interruption sur cet axe important.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux citoyens?

n Pour les décennies à venir, la ­réfection avec la construction d’un second tube représente la solution la plus durable. Elle offre une bonne liaison avec le Tessin et permet de garder ouvert l’axe routier du tunnel du Gothard. C’est important pour la population et pour l’économie. En outre, nous pourrons accroître la ­sécurité des usagers de la route de manière significative!

Interview: Gerhard Enggist

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